Votre statut fiscal d’entreprise est-il à risque ?   Les autorités fiscales pourraient-elles vous considérer comme un employé déguisé ou comme étant l’exploitant d’une entreprise de prestation de services personnels (EPSP) ?

Votre statut fiscal d’entreprise est-il à risque ? Les autorités fiscales pourraient-elles vous considérer comme un employé déguisé ou comme étant l’exploitant d’une entreprise de prestation de services personnels (EPSP) ?

 

Par Patrick-Claude Caron, avocat, M.Fisc.

1. INTRODUCTION

Le droit fiscal applicable aux entrepreneurs comporte des règles particulières afférentes aux entreprises de services personnels (ESP), également connues sous le vocable d’entreprises de prestation de services personnels (EPSP) utilisé dans le contexte fédéral;  comme nous le verrons, celles-ci peuvent avoir un impact important sur votre entreprise.

L’Étude Caron avocats SENC développait une expertise en semblables matières et cet article vise à informer le lecteur de quelques aspects pertinents relatifs au statut fiscal d’une entreprise.   Il s’agit d’un écueil important, lequel doit faire l’objet d’une réflexion pour tout entrepreneur oeuvrant pour un client à la fois, pendant des périodes de temps prolongées.  Certaines situations sont plus épineuses que d’autres.

L’exemple des consultants du domaine des technologies de l’information sera utilisé, mais celui-ci s’applique également à l’ensemble des domaines d’activités, moyennant quelques adaptations contextuelles.

Avant toute chose, il importe de préciser le contexte légal applicable pour ensuite bien cerner l’ensemble de la problématique rencontrée.

2.CADRE LÉGAL

 Loi de l’impôt sur le revenu

 La principale question devant être tranchée au niveau légal repose sur l’application de la définition d’entreprise de services personnels, figurant à l’article 1 de la Loi sur les impôts:

LIVRE I
INTERPRÉTATION ET RÈGLES D’APPLICATION GÉNÉRALE

TITRE I
INTERPRÉTATION

  1. Dans la présente partie et dans les règlements, à moins que le contexte n’indique un sens différent, l’expression:

(…)

«entreprise de services personnels» désigne une entreprise de services qu’une société exploite dans une année d’imposition lorsqu’un employé qui fournit des services pour le compte de la société, appelé «employé constitué en société» dans la présente définition et dans l’article 135.2, ou une personne qui est liée à un employé constitué en société, est un actionnaire désigné de la société et que cet employé constitué en société pourrait raisonnablement être assimilé à un employé de la personne ou de la société de personnes à qui il a fourni les services, si ce n’était de l’existence de la société, sauf si l’une des conditions suivantes est remplie:

a)la société emploie pendant toute l’année dans l’entreprise plus de cinq employés à temps plein;

b)le montant reçu ou à recevoir par la société dans l’année pour les services fournis est payé ou à payer par une société à laquelle elle est associée dans l’année;(…)

Donc, la question principale sera de savoir si l’opérateur de la société incorporée, au vu de l’ensemble du dossier « pourrait raisonnablement » être assimilé à un employé de la personne à qui il fournit les services.

Il importe aux fins du test légal que l’employé constitué en société (et nous insistons sur la formulation du texte de Loi) : « pourrait raisonnablement être assimilé » à un employé de l’entité à qui les services seront rendus.

Est-il raisonnable de prétendre que l’opérateur de l’entreprise incorporée pourrait être raisonnablement assimilé à un employé de la société ?

Le fait d’exploiter une entreprise, à titre de président, actionnaire et employé, est chose courante et ne devrait en pas s’avérer pénalisante, particulièrement dans un monde du travail en pleine évolution.

Il y a aussi lieu d’examiner entre autre chose si les circonstances entourant la fourniture de la prestation de la Société visée par la disposition légale, dont on fait abstraction aux fins seules du test prévu par l’article 1 de la Loi sur les impôts[7], s’apparente à celle délivrée par un employé du client.

3. IMPACT DE L’APPLICATION DES RÈGLES PROPRES AUX EPSP À VOTRE SOCIÉTÉ

Les impacts peuvent être importants.

Notamment, les dépenses réclamées par la société (votre compagnie) seront refusées, sauf le salaire versé à l’employé constitué en société (en sommes l’exploitant);

La déduction pour petite entreprise fédérale et provinciale seront refusées et un taux d’imposition désavantageux sera appliqué au nouveau revenu imposable déterminé.

Les taux applicables aux sociétés (compagnies) lorsque celle-ci n’est pas qualifiée d’EPSP (ou comme représentant un emploi incorporé) sont les suivants:

Taux d’imposition si non EPSP (situation normale)

Fédéral: 10,5 %

Québec: 11,8 % (8 % si DPE disponible (minimum de 3 employés)

Taux combiné: 22,3 %

ou 18,5 % si DPE Québec;

Ainsi, pour les entreprises comptant plus de 3 employés au Québec, le taux d’imposition usuel sera de 18,5 %;

Lorsque les règles propres aux EPSP s’appliquent à une société donnée les taux changent dramatiquement, et s’appliquent sur un montant de revenu qui est grossi du montant des dépenses refusées (à l’exclusion du salaire de l’exploitant aussi appelé « employé incorporé ».);

Taux d’imposition si les règles propres aux EPSP s’appliquent;

(selon les taux applicables au 1er janvier 2017)

Fédéral: 28,0 %

Québec: 11,8 %
(compte tenu des récentes modifications au régime de la DPE – déduction pour petites entreprises)

Taux combiné: 39,8 %

Il s’agit donc d’un impact important, et lorsqu’une société (compagnie) engage beaucoup de dépenses autres que le salaire des « employés incorporés », l’impact se trouve multiplié; il faut se rappeler que ces montants seront ajoutés aux revenus de la société, lesquels seront imposés aux taux présentés plus avant.

Le fisc imposera également entre les mains de l’opérateur de la société les écarts constatés au niveau corporatif, comme « appropriation de revenus », ou comme revenu non déclaré.

Ajoutons que le fisc pourra, si le versement de dividendes était le mode de rémunération retenu, en tout ou en partie, cotiser au niveau du recouvrement le bénéficiaire du dividende celui-ci étant considéré comme ayant reçu, dans certaines circonstances des montants de la société, sans que le bénéficiaire n’ait versé de contrepartie à cette dernière.  En sommes, le fisc estimera en situation de dividendes que la compagnie s’est appauvrie, au profit d’une personne liée (soit l’actionnaire) alors qu’elle avait une dette fiscale.     Le système fiscal vise également à empêcher qu’une société se vide de ses bénéfices non répartis au profit de personnes liées lorsqu’elle est débitrice d’une dette fiscale.

Notre présentation est vulgarisée pour fins de simplification du texte, mais suffit d’indiquer que nombre de conséquences fâcheuses peuvent découler de voir les activités d’une société être de nature à constituer une « entreprise de prestation de services personnels. ».

4. COMMENT SAVOIR SI LES RÈGLES PROPRES AUX EPSP S’APPLIQUENT À UNE SITUATION DONNÉE – UNE DISCUSSION LÉGALE

Une première question se pose: quel droit appliquer – tant au niveau de l’application de la Loi fédérale ou de la Loi fiscale du Québec.?

  • Le droit civil 

Force est de constater que la question fondamentale demeure de valider si nous sommes dans un contexte d’entreprise / ou de travail. Or, c’est le droit civil qui s’applique au Québec.

Dans l’arrêt Wolfrendu par la Cour d’appel fédérale en 2002, le juge Décary précise clairement :

102 Si nous passons maintenant à l’interprétation des notions d’« entrepreneurs indépendants » et d’« employés » au regard d’un contrat signé au Canada, il faut se souvenir que les règles de Common Law s’appliqueront si le contrat en cause doit être interprété conformément aux lois d’une province autre que le Québec et que le Code civil du Québec s’appliquera si le contrat en cause doit être interprété conformément aux lois de la province de Québec (voir St-Hilaire v. Canada (Attorney General), [2001] 4 F.C. 289 (Fed. C.A.), aux par. 38 et suivants; la Loi d’harmonisation nº 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4; la Loi d’interprétation, art. 8.1 et 8.2, modifiée par l’article 8 de la Loi d’harmonisation nº 1 du droit fédéral avec le droit civil).

Dans 9041-6868 Québec Inc.[9], le même juge précise :

2 En ce qui a trait à la nature du contrat, le juge en est arrivé à la bonne solution, mais il y est parvenu, à mon humble avis, de la mauvaise manièreNulle     part, en effet, ne traite-t-il des dispositions du Code civil du Québec, se contentant, à la fin de son analyse de la preuve, de référer aux règles de Common Law énoncées dans les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministère du Revenu national), [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. Sagaz c. Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983. Cette méprise, je m’empresse de le souligner, n’est pas nouvelle et trouve son explication dans un flottement jurisprudentiel auquel le temps est venu de mettre un terme.

  1. L’entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994, puis l’adoption par le Parlement du Canada de la Loi d’harmonisation nº 1 du droit fédéral avec le droit civil (c. 2001, ch. 4) et l’adjonction par cette Loi de l’article 8.1 à la Loi d’interprétation(L.R.C., ch. I-21) ont redonné au droit civil du Québec, en matière fédérale, ses lettres de noblesse que les tribunaux avaient eu parfois tendance à ignorer. Il suffit, à cet égard, de consulter l’arrêt de cette Cour, dans St-Hilaire c. Canada, [2004] 4 C.F. 289 (C.A.F.) et l’article du juge Pierre Archambault, de la Cour canadienne de l’impôt, intitulé « Contrat de travail: pourquoi Wiebe Door Services Ltd ne s’applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer » et publié récemment dans le Deuxième recueil d’études en fiscalité (2005) de la collection L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, pour se convaincre que le concept de « contrat de louage de services », à l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploidoit être analysé à la lumière du droit civil québécois lorsque le droit provincial applicable est celui du Québec.

  • L’intention des parties et l’interprétation des contrats

 Selon l’auteur des présentes lignes, l’intention des parties est un critère à considérer.  Dans quelle relation les parties se sont elles engagées ?  Dans un contrat de travail ou d’entreprise ?  Lorsque la conduite est conforme à l’intention, nous devrions nous trouver en présence d’une situation d’entreprise et le statut fiscal de la société ne devrait pas être requalifié à titre d’EPSP.

L’évaluation de l’intention des parties est un critère issu de la Loi. La loi est source primaire de droit ayant préséance sur la jurisprudence.

En ce qui a trait à l’interprétation des contrats, le Code civil du Québec édicte :

Interprétation du contrat

SECTION IV
DE L’INTERPRÉTATION DU CONTRAT

  1. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.
  1. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.
  1. Les clauses s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat.
  1. Dans le doute, le contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée. Dans tous les cas, il s’interprète en faveur de l’adhérent ou du consommateur.
  • Cadre d’analyse de l’intention

L’auteur de ces lignes estime que le point de départ essentiel réside dans la qualification par les parties de leurs rapports contractuels et la nécessité d’une preuve preuve non équivoque au contraire permettant de « répudier » l’intention clairement exprimée par les parties;

Dans l’affaire Beaucaire :

26  Tel qu’il est mentionné ci-dessus, la ligne de démarcation entre un contrat de travail et un contrat de service peut être ténue. Il m’apparaît important, comme point de départ, de constater comment les parties ont elles-mêmes qualifié la nature de leurs rapports contractuels. Ici la preuve de l’intention des parties est claire. Elle révèle que les parties désiraient conclure un contrat de service. En effet, en mentionnant à monsieur Beaucaire qu’il serait un « travailleur autonome », monsieur Lavoie manifestait son intention de créer une relation dans le cadre de laquelle les services rendus par monsieur Beaucaire le seraient « en toute autonomie », à savoir qu’il aurait le libre choix des moyens d’exécution. Même si monsieur Beaucaire a indiqué qu’il ne comprenait pas trop la portée de la notion de travailleur autonome, il a reconnu qu’elle comportait une notion d’autonomie. Les tribunaux ont reconnu l’importance que revêt l’intention des parties dans la qualification de la relation contractuelle qui existe entre elles. Par exemple, dans l’affaire Livreur Plus Inc. c. Ministre du Revenu national, [2004] F.C.J. No. 267 (F.C.A.), le juge Létourneau écrit au paragraphe 17:

Dans l’affaire Livreur plus[12] :

17 La stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n’est pas nécessairement déterminante et la Cour peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise: D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, [2003] A.C.F. no 1784, 2003 CAF 453. Mais en l’absence d’une preuve non équivoque au contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l’intention déclarée des parties: Mayne Nickless Transport Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.I. no 132, 97-1416-UI, 26 février 1999 (C.C.I.). Car en définitive, il s’agit de déterminer la véritable nature des relations entre les parties. Aussi, leur intention sincèrement exprimée demeure-t-elle un élément important à considérer dans la recherche de cette relation globale réelle que les parties entretiennent entre elles dans un monde du travail en pleine évolution: voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., [2004] A.C.F. no 238, 2004 C.A.F. 54.

En sommes, il est de l’avis de l’auteur de ces lignes, que l’intention est importante dans le contexte d’un litige portant sur la qualification légale d’une entreprise et de l’application des règles propres aux EPSP;

  • Analyse des faits dans une optique de confirmation de l’intention des parties

 Il importera en pratique d’examiner si dans les faits, l’intention des parties est cohérente avec la conduite adoptée;

Chaque contrat doit être analysé. L’intitulé de même que les signatures confirment la forme souhaitée.

  • Expression de l’intention des parties et importance des « considérants » au contrat

 Les considérations ayant justifié la signature d’un contrat donné sont importantes.

Le préambule d’une convention pourra prévoir les diverses questions liées aux considérations expliquant les motifs du contrat. À défaut, seul l’éventuel témoignage des parties pourra, même alors sous certaines conditions permettre de préciser l’état des choses.

Bien souvent, le client retenant les services d’une société de consultation souhaitera généralement avoir accès à une expertise ponctuelle et non permanente relativement à un besoin spécifique ou pour un livrable donné et spécifique.

La conduite des parties devra être pleinement compatible avec l’intention figurant au contrat.

L’intention des parties se répercute dans les faits – (relation d’affaires et non d’emploi).

Dans l’affaire Pragma, le tribunal (pour le compte de la Cour du Québec) décrit tel que suit l’intention des parties :

[60]  En ce qui concerne l’intention des parties, il n’y a aucun doute dans l’esprit du Tribunal, à la lumière de la preuve soumise de part et d’autre par les demandeurs et la défenderesse et à la lumière des conventions écrites existantes entre la demanderesse Pragma et Desjardins, qu’il n’a jamais été question que le demandeur Laverdière soit ou devienne un employé de Desjardins durant le cours de la relation d’affaires entre Desjardins et Pragma.

(…)

[62]    Pragma compensait alors à un besoin ponctuel de Desjardins et, le fait que Pragma n’avait qu’un seul employé sous sa charge ne modifie en rien cette situation juridique existante entre les parties.

[63]    Cette situation juridique a même été confirmée dans la terminaison du dernier mandat confié par Desjardins à Pragma puisque la relation juridique existante entre les parties s’est terminée le ou vers le 25 mai 2007, à la fin du septième mandat confié par Desjardins à Pragma.

[64]    Ainsi donc, dans le présent cas, l’intention des parties est claire et sans équivoque et la relation contractuelle dans laquelle s’est retrouvée Pragma et Laverdière est une relation contractuelle qui lui a été imposée par un tiers soit, Desjardins (et ses clients) et que ni Pragma, ni Laverdière n’ont de quelque façon que ce soit influencé ce choix de Desjardins.

Des indices importants au niveau structurel et administratif confirmant l’intention des parties de s’engager dans le cadre d’une relation d’affaires se vérifieront par divers facteurs, dont :

  • Facturation par la Société pour services rendus au client (et non pas le versement d’un salaire);
  • Taxes à la consommation perçues et remises par Société;
  • Pas de déductions à la source effectuées par le payeur (client de la société);
  • Indépendance et absence de clause d’exclusivité.
  • Aucune obligation de loyauté – 2088 C.c.Q. ou de non concurrence 2089 C.c.Q.- (Note, non concurrence existe aussi dans un contexte d’entreprise – Affaire Loubac);
  • Aucune obligation ou exclusivité formelle astreignant Société de n’œuvrer que pour le client pendant la durée d’un contrat donné.
  • Fin du contrat ave ccourt préavis;
  • Contrats temporaires de courte durée;
  • La Société pouvait accepter ou refuser tout contrat qui lui était présenté[14];
  • Bien que le contrat exige l’exécution personnelle par l’opérateur de la société incorporée, cela n’en fait pas pour autant un contrat de travail, puisque le Code civil, prévoit clairement à l’article 2101 C.c.Q.. que le contrat d’entreprise puisse être de nature intuitu personae – dans le présent dossier la recherche de l’expertise de l’opérateur de la société incorporée ne doit pas être assimilée à un indice de contrat de travail ou d’intention contraire à la relation d’entreprise.[15]

Le fait que le travail aurait ou non pu être effectué par un employé du client n’est pas un facteur négatif à la cause d’une société visée potentiellement par les règles d’EPSP.

Au paragraphe 69 de la cause T.A.P. consultants :

« DANS LE PRÉSENT CAS IL S’AGIT D’UN TRAVAIL QUI POURRAIT TOUT AUTANT ÊTRE RÉALISÉ PAR UN EMPLOYÉ QUE PAR UN ENTREPRENEUR. Tonya Pétrin une spécialiste en informatique a réalisé le travail en tant qu’employée tout comme elle prétend le faire en tant qu’entrepreneur.

On sait cependant que sa grande connaissance de ce domaine spécifique du logiciel People Soft la rendait grandement autonome. C’est à cause de ses connaissances et de son autonomie que ses services ont été retenus. »

  • Clauses de remplacement 

En présence d’une clause à l’effet que l’opérateur de la société incorporée puisse être remplacé avec l’accord du client, il y a lieu d’en faire l’analyse à la lumière de l’article 2101 C.C.Q, prévoyant que le contrat d’entreprise puisse être intuitu personae.

  • Absence de clause d’intention des parties

Même en l’absence d’une clause claire d’intention des parties figurant au contrat porteur, l’intention des parties peut être établie par témoignage. C’est ce que nous enseigne la Cour du Québec dans T.A.P. consultants, au paragraphe 63 :

« Une telle clause n’existe pas dans le contrat liant  T.A.P. et AGTI, cependant le témoignage de Tonya Pétrin démontre bien que c’était là aussi l’intention des parties. »

Globalement, dans Pragma, le tribunal matérialise la question tel que suit:

« [97] Engager une telle personne sur une base permanente aurait pu s’avérer coûteuse pour Desjardins et c’est fort probablement la raison pour laquelle celle-ci a préféré payer peut-être un peu plus à court terme mais ne pas être encombrée, à long terme, par le coût excessif qu’aurait pu représenter un engagement direct, à titre de salarié et d’employé, de Laverdière.

[98]    C’est l’explication donnée par le représentant de Desjardins au Tribunal et cette explication est très plausible puisque, semble-t-il, c’est la nouvelle théorie de la gestion en matière publique au Québec. »

Alors, le client d’une Société informatique recherchera :

  • Une expertise ponctuelle;
  • Sans obligation légale;
  • Pas de normes du travail;
  • Pas de déductions à la source à payer;
  • Seulement le livrable importe.

Ces éléments doivent être considérés à la lumière de certains enseignements de la Cour fédérale d’appel dans Wolf,lesquels sont à l’effet suivant :

119  Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu’ils désirent. Personne n’a suggéré que M. Wolf ou Canadair ou Kirk-Mayer ne sont pas ce qu’ils disent être ou qu’ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu’un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu’il est exécuté comme tel, l’intention commune des parties est claire_et l’examen devrait s’arrêter là. Si ce n’était pas suffisant, il suffit d’ajouter qu’en l’espèce, les circonstances dans lesquelles le contrat a été formé, l’interprétation que lui ont donnée les parties et l’usage dans l’industrie aérospatiale conduisent tous à conclure que M. Wolf n’est pas dans une position de subordination et que Canadair n’est pas dans une position de contrôle. La « question centrale » a été définie par le juge Major dans l’affaire Sagaz comme étant : « si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte ». Il est clair, à mon avis, que M. Wolf a exécuté des services professionnels à titre de personne qui travaillait pour son propre compte.

120     De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l’embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n’est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l’on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d’emploi, le peu d’égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

5. SUBORDINATION ET CONTRÔLE

Le critère de la subordination et du contrôle est certainement le plus important afin de déterminer si nous nous trouvons en présence d’une situation de nature entrepreneuriale (qui ne justifie pas l’application des règles propres aux EPSP), d’une situation analogue à un emploi, qui aurait quant à elle pour effet de donner lieu à l’application de ces règles.

Qu’en est-il dans un contexte d’évaluation de la relation entre un payeur et un spécialiste de pointe ? L’auteur Robert P. Gagnon indique[17] :

« Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q..). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes: présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise. »

Cet extrait fut largement repris en jurisprudence.

Précisons que tant les critères administratifs récents que les indications figurant à l’affaire Pragma renvoient au concept de subordination effective. Sans faire référence au concept large de subordination. Cependant, en droit fédéral, la question n’est pas tranchée avec autant de précision.

Ainsi, il semble qu’au Québec le standard soit celui de la subordination effective alors qu’au niveau fédéral, le critère soit celui de la subordination dans son acception large.

Nous traiterons donc de chaque indice de subordination au sens large – en vue d’établir en quoi de manière générale dans le cas des entreprises informatiques ils ne sont pas applicables et ne font point ressortir d’indice de droit de contrôle autres que ceux admis en droit civil afférents aux paramètres touchant la relation client-entrepreneur.

Usuellement, la prestation de services rendue par une société informatique s’effectuera dans un contexte particulier par exemple dans un chantier de haute technologie le moment venu d’examiner les indices de contrôle évoqués par l’auteur Robert P. Gagnon.

  • Présence obligatoire sur un lieu de travail

 Bien que suivant une certaine jurisprudence, le fait de pouvoir déterminer l’endroit où sera effectué le travail équivaut à un indice de subordination (dans un contexte d’expertise de pointe). Dans le domaine de l’informatique par exemple (mais cela vaudra dans d’autres domaines),  la nécessité de livrer la prestation de services aux locaux du client est souvent tributaire d’impératifs de sécurité et de simple bon sens. Souvent, l’essentiel de la prestation de la société informatique s’effectuera à partir des locaux du client et par le biais des infrastructures informatiques de celui-ci.

  • Assignation plus ou moins régulière du travail

L’entrepreneur aura le plein contrôle de son horaire. L’opérateur de la société incorporée aura une pleine latitude dans la manière d’exécution – le moment d’exécution – et sera lié par une obligation, plus souvent qu’autrement – de livraison à une date précise.

Usuellement, dans une optique de facilitation de gestion d’un projet donné, l’opérateur d’une société incorporée versera au dossier l’information requise en vue de la bonne gouverne du projet.

Les outils utilisés par un client donné afin de constater l’avancement d’un projet auront pour but généralement, de permettre au gestionnaire de projet de coordonner l’ensemble des pièces composant les phases concurrentes d’un livrable donné.

Un employé pour sa part sera « talonné » dans son travail, alors que l’entrepreneur aura pleine latitude n’ayant usuellement comme seule obligation celle de livrer – tout en étant responsable de la planification de ses tâches.

 Imposition des règles de conduite

Certaines obligations contractuelles, telles des obligations de confidentialité ou de respect des normes de sécurité du client peuvent être assimilées à tort à des règles de conduite.

Celles-ci ne sont point des indices d’encadrement au sens large selon l’auteur de ces lignes, mais bien des conséquences obligatoires reliées au chantier technologique spécifique. Il va de soi que toute information demeure confidentielle au sens large, et que les dispositions sécuritaires soient suivies à la lettre, à l’heure où les fraudes se multiplient en matière informatique.

La jurisprudence dans Wolf confirme cet état de fait :

« 81 Le fait que le travail ait dû être exécuté pendant les heures normales de travail et dans les locaux de Canadair, afin de permettre à l’appelant d’interagir avec d’autres personnes chez Canadair, n’a pas pour effet non plus d’amener à conclure que l’appelant était un employé. Un consultant aurait pu avoir les mêmes contraintes d’horaire et de lieu de travail, compte tenu du caractère spécialisé du travail qu’il avait à effectuer et des mesures de sécurité qui existaient. »

Il y a donc lieu d’indiquer que cet aspect particulier n’est pas en soi une caractéristique absolue d’un contrat de travail, et au contraire, la réalité factuelle doit être considérée, tel que proposé par la doctrine (Gagnon).

 Contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation 

Nous soumettons que ces contrôles – propres à la bonne gouvernance de projets ne font pas de l’opérateur de la société incorporée un subalterne de son client.

Dans Livreurs Plus, il est indiqué ce qui suit :

19 Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l’ouvrier chargé de les réaliserVulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.F. no 749, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l’affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), précitée, suivie dans l’arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2002] A.C.F. no 1454, 2002 FCA 394, « rares sont les donneurs d’ouvrage qui ne s’assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

 Ainsi, en comparaison l’extrait tiré de l’ouvrage « Droit du travail du Québec » de l’auteur Robert P. Gagnon, nous soumettons que les tribunaux reconnaissent qu’il est rare que le payeur n’ait pas la possibilité de dicter le lieu convenu pour la livraison, lorsque applicable.  Généralement, il sera impossible de livrer ailleurs que dans les locaux du client pour des motifs sécuritaires.

Au niveau de la question du rapport d’activité,l’entrepreneur sera contractuellement tenu de facturer son client ;

Le Code civil du Québec prévoit que client sera toujours en droit de valider s’il paie pour un service effectivement rendu ou pour un service utile.

  1. Lorsque le prix est établi en fonction de la valeur des travaux exécutés, des services rendus ou des biens fournis, l’entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, à la demande du client, de lui rendre compte de l’état d’avancement des travaux, des services déjà rendus et des dépenses déjà faites.

Le Code civil du Québec autorise telle conduite et celle-ci s’insère dans les obligations de l’entrepreneur dans le contexte de la mise en œuvre d’un contrat d’entreprise.

En matière de coordination de projets, il est important de considérer qu’un gestionnaire de projets aura comme devoir le respect d’enveloppes budgétaires. Il est normal et courant de suivre l’avancement des travaux relativement à un projet d’envergure découpé en phases, puis en blocs, lesquels deviennent des livrables qui font l’objet de contrats spécifiques de durée déterminée , s’insérant dans le processus global.

Dans l’affaire  T.A.P., au paragraphe 91, il est fait mention de ce qui suit :

« Enfin, mentionnons que le chargé de projet avait plutôt un rôle de coordonnateur » qui avait pour tâche – de vérifier l’avancement des travaux – plutôt que d’un gestionnaire qui dictait les tâches à réaliser —. Comme le prévoit l’article 2099 C.c.Q.,  T.A.P. avait le choix des moyens – ce qui n’enlevait pas aux clients le droit de surveiller la progression des travaux. ».

Quant au volet contrôle de la « qualité », il est important de rappeler que la communication des détails propres au livrable spécifique faisant l’objet d’un contrat donné s’effectuait avant le commencement des travaux.

Généralement, les exigences d’affaires seront communiquées au gestionnaire de projet dans le cadre du découpage des phases d’un projet en livrables spécifiques, lequel livrable sera attribué à une Société informatique (dans la situation qui nous intéresse).

En cours de réalisation du projet, le pigiste devra être à l’écoute advenant une modification apportée au livrable en cours de production. Le Code civil du Québec à l’article 2100 indique que l’entrepreneur doit agir dans l’intérêt du client.

La présence d’une clause contractuelle d’inspection se rapportera au contrôle de la qualité d’un livrable et non à la manière d’effectuer celui-ci.

En résumé, si en droit québécois le critère de la subordination effective est celui appliqué, il n’en demeure pas moins que le cadre d’action usuel des entreprises informatiques échappe aussi à la subordination dans son acception large. En somme, la pratique constatée rencontre les exigences du test le plus sévère.

Soulignons que l’affaire Beaucaire précise que le droit de contrôler (subordination au sens large) doit s’accompagner d’une preuve de l’exercice d’un tel droit de direction (à ne pas confondre avec le contrôle du résultat, et de la qualité et de la quantité, tel que traité dans l’affaire Livreurs Plus ):

29  À mon avis, il existait un contrat de service entre Aldo et monsieur Lavoie. Ce dernier avait assumé, envers ce client, des obligations spécifiques dans le temps et quant au travail à accomplir. Il devait se présenter dans certains locaux aux États-Unis où Aldo avait l’intention d’établir des magasins et il devait produire des plans décrivant les lieux et contenant des données mécaniques. Un délai était prévu pour fournir ces plans. Pour l’exécution d’une partie de ce contrat de service, monsieur Lavoie avait engagé comme sous-traitant monsieur Beaucaire. Cette partie consistait dans la collecte des données mécaniques et leur reproduction sur des plans dessinés à l’aide du logiciel AutoCad. À mon avis, monsieur Lavoie n’avait pas un droit de contrôle et de direction sur le travail effectué par monsieur Beaucaire. On n’a pas non plus apporté de preuve établissant qu’un tel droit a été exercé par monsieur Lavoie. Le contrôle qui a été exercé portait sur le résultat et sur la qualité des travaux fournis par monsieur Beaucaire.

Dans certaines décisions, on constate également qu’il n’y a pas de subordination même au sens large, en présence d’un contrôle hypothétique :

Dans Yetman, la Cour canadienne de l’impôt indique :

 17   À mon avis, le droit de contrôle qui pouvait être exercé par le payeur était purement théorique parce que non seulement le payeur n’était pas en mesure de contrôler la qualité du travail effectué par l’appelant, mais il ne disposait pas non plus des connaissances spécialisées ou des outils nécessaires pour contrôler la méthode d’exécution des travaux effectués et la prestation des services fournis par l’appelant.

 La question de la subordination est certes le principal motif en pratique en vertu duquel les autorités fiscales pourront cotiser une société comme étant visée par les règles propres aux EPSP.   En présence d’indices de subordination, il sera toujours important de déterminer ou d’évaluer le risque fiscal se rattachant à l’exploitation de l’entreprise en fonction du modèle financier qui est préconisé;

Au delà de l’intention des parties, et du critère de la subordination, d’autres critères doivent être examinés dans le contexte spécifique de détermination de l’applicabilité des règles propres aux EPSP à une société donnée.

Il s’agit des critères économiques de l’intégration et touchant la propriété des outils.

6. CRITÈRES ÉCONOMIQUES

Critères économiques : risques, pertes et modalités de rémunération

À l’égard des critères économiques, le donneur d’ouvrage a généralement un comportement conséquent avec la présence d’un contrat de service.

Ainsi, la rémunération se limite au temps facturé et à certaines dépenses, il n’y a pas d’avantages sociaux, le donneur d’ouvrage peut mettre fin au contrat avec un minimum d’avis, il contrôle les coûts du projet et il paye la TVQ et la TPS sur les services rendus.

De son côté, le prestataire du service (la compagnie) est généralement appelé à assumer les erreurs et les dépassements de coûts. Il s’engage suivant une obligation de résultat avec des mandats définis.

La société fournissant le service est donc confrontée avec une réalité juridique (contrat à durée déterminée devant être renouvelé et pouvant être, selon les termes du contrat, résilié avec un minimum d’avis) qui entraîne une certaine précarité dans ses rentrées de fonds.

Selon le soussigné, il s’agit d’un risque important qui distingue l’entrepreneur d’un employé « déguisé ».

  • Modalités de rémunération

La jurisprudence récente de la Cour du Québec précise que le mode de rémunération n’est pas concluant, mais il formule tout de même le commentaire suivant :« il reste qu’il n’est pas habituel pour un employé d’être payé sur la base d’une facturation ».  Deux modes de rémunération sont favorables au statut de travailleur autonome :

À forfait : le travailleur absorbe tout le risque.

Facturation à l’heure (temps et/ou matériel), taux, TPS et TVQ)

En pratique une société adoptera un modèle rémunératoire compatible avec l’exploitation d’une entreprise, et ce facteur s’ajoute aux éléments favorisant la non application des règles propres aux EPSP à une société donnée.

  • Avantages sociaux

La présence d’avantages sociaux favorise de statut d’employé. À l’inverse, en l’absence de tels avantages, il est possible d’affirmer que la situation participe à une situation ne pouvant « raisonnablement » être assimilée à une relation analogue à celle existant sous un contrat d’emploi;

  • Droit à des remboursements ou allocations de dépenses et conditions afférentes à la prestation de services

Un travailleur autonome n’a généralement pas droit au remboursement ou à une allocation de dépenses, sauf les montants expressément négociés dans le cadre du mandat.    Une société ne devrait pas normalement réclamer de compte de dépense de son client.  Il faut distinguer cependant cette situation du fait de facturer au client certaines dépenses engagées dans le cadre de la prestation de services.

  • Modalités pour mettre fin au contrat

Un client peut mettre fin au contrat d’un pigiste à tout moment, sans préavis, ni prime de départ. Le pigiste (consultant incorporé) absorbe alors tous les risques et conséquences.

Préavis de fin de contrat : La présence au contrat d’une obligation de donner un préavis ne favorise pas nécessairement le statut de salarié. Une telle clause dans un contrat d’entreprise peut être assimilée à une clause pénale stipulée en faveur de l’entrepreneur. En résumé, l’absence de clause de préavis peut être favorable au statut de travailleur autonome, alors que la présence d’une telle clause est plutôt neutre.

  • Contrôle des coûts du projet

La présence d’un cadre financier strict imposé à l’entrepreneur sera un élément favorable au statut de travailleur autonome.

  • Prix des services rendus par l’entrepreneur/Négociation des taux :

Lorsque le travailleur négocie son taux à la signature du contrat et à chaque renouvellement, il s’agit d’un élément favorable au statut de travailleur autonome. La présence d’une convention collective est favorable au statut de salarié.

Le fait que des émoluments aient été négociés à chaque contrat a été considéré comme un élément favorable dans  T.A.P. et dans Pragma.

  • Risques liés aux erreurs et aux dépassements de coûts

Lorsque les erreurs ou le manque de qualité d’un livrable sont assumés par le travailleur, il s’agit d’un élément favorable au statut de travailleur autonome.

  • Assurance responsabilité

La détention d’une assurance responsabilité notamment pour erreurs commises est favorable au statut de travailleur autonome.

Le fait qu’un travailleur sente le besoin d’assumer la responsabilité de contracter une assurance de ce type ou que le donneur d’ouvrage en exige une contractuellement est un élément favorable au statut de travailleur autonome et complète en quelque sorte le critère précédent relatif à la responsabilité du travailleur quant à la qualité du livrable.

  • Assurance invalidité

La détention d’une assurance invalidité est favorable au statut de travailleur autonome.

Il est courant qu’un travailleur autonome prenne une assurance pour faire face à ses frais fixes en cas d’invalidité (assurance frais généraux comprenant l’invalidité). Il s’agit évidemment d’un élément favorable au statut de travailleur autonome.

  • Propriété des outils

La propriété des outils de travail n’est pas un critère déterminant dans tous les domaines d’activités.  On estimera qu’un entrepreneur fournira usuellement ses outils, ou que ceux-ci ne seront pas fournis par leur « client »;

Il importe de retenir que dans certaines situations, une entrepreneur ou une société incorporée ne pourra pas utiliser ses propres outils, notamment dans le cadre de chantiers hautement sécurisés.  Souvent, le client imposera un protocole de sécurité ou fournira « l’interface » dans laquelle la solution pour laquelle les services d’une entreprise donnée sont retenus sera implantée.   Dans ces circonstances notamment, il ne devrait pas y avoir d’inférence négative affectant négativement le statut fiscal d’un contribuable incorporé;   même alors, il est d’usage pour la grande majorité des entreprises incorporées d’avoir accès à divers outils technologiques, et mobilier d’affaire.

  • Intégration des travaux effectués par le travailleur

L’intégration est un critère qui est souvent mal appliqué par les autorités au sens large.   En sommes, la question à se poser est de savoir « à qui appartient l’entreprise » ou la personne visée peut-elle être considérée comme exploitant une entreprise à « son compte ».

L’intégration doit toujours être examinée du point de vue de la société fournissant le service au client, et non du point de vue du client.   Sans quoi le résultat sera faussé.

Partant, l’ensemble de la conduite entrepreneuriale de l’opérateur d’une société visée par l’application potentielle des règles propres aux EPSP sera essentielle.

Nous retenons ci-après quelques indices d’absence d’intégration, la liste n’étant pas exhaustive, mais strictement indicative.

Présence d’un besoin ponctuel du client :

Lorsque l’intervention d’une entreprise indépendante vise à assurer l’atteinte d’un résultat ponctuel ou de faire face à un besoin ponctuel, ce critère favorise le statut de travailleur autonome.

  • Expertise particulière de l’entrepreneur :

La présence d’une expertise particulière favorisera le statut de travailleur autonome.

  • Pluralité de mandats auprès du même client ou de clients distincts ? (absence de clause d’exclusivité)

 La pluralité des mandats est un facteur très important pointant vers le statut de travailleur autonome.

Dans certaines industries, il peut arriver que certains projets d’importance s’étendent sur une longue période. Or, la durée totale de l’engagement avec un même client peut entraîner la qualification de travailleur salarié.

Ce critère doit donc être examiné sur une période plus longue qu’une année d’imposition particulière. Ainsi, l’examen pourrait couvrir la période de vérification qui est généralement de trois ans.

Par ailleurs, il est important de s’assurer, lorsqu’il y a plusieurs mandats consécutifs dans le cadre d’un grand projet, que ceux-ci sont clairement définis.

La pluralité des mandats avec des clients différents constitue évidemment l’élément le plus fort.

Note : La présence d’un seul client sur une longue période de temps ne saurait être assimilée à une situation d’emploi. L’ensemble des critères doit être examiné.

  • Publicité et démarches de développement d’affaires

Les éléments suivants furent jugés comme représentatifs d’une conduite entrepreneuriale :

Publicité (nom distinctif, papeterie), Internet, carte professionnelle, annuaire téléphonique, LinkedIn, membre d’une association professionnelle (ex. : AQIII), participation à des activités de développement des affaires, etc.

  • Embauche de salariés

Le recours à du personnel (secrétaire, technicien, collaborateur spécialisé dans le domaine d’intervention de la société) ou à des sous-traitants est favorable au statut de travailleur autonome.

L’absence de personnel ne constitue pas pour autant un facteur négatif. Il s’agit d’un élément neutre.

  • Place d’affaires et services devant être rendus dans les locaux du client

 L’achat ou la location d’espace pour utilisation comme place d’affaires, ou l’aménagement d’un bureau à domicile pour accomplir certaines activités professionnelles, est un critère favorable au statut de travailleur autonome. Toutefois, il est souvent demandé au travailleur de fournir sa prestation de services chez le client, ce qui constitue un élément neutre, donc ne devrait pas en principe pénaliser l’entrepreneur visé.

  • Résultat spécifique

Objet du mandat : Atteinte d’un résultat spécifique vs obligation de moyens

Le mandat ayant pour objet l’atteinte d’un résultat spécifique appelé également « livrable » milite en faveur du statut d’entreprise indépendante. L’obligation de moyens sera plus compatible avec la prestation d’un salarié.

  • Description du mandat: début, fin, objectifs, livrables et renouvellement

 La Cour du Québec précise ce qui suit quant à la durée du contrat :

[54]    Au contraire, la preuve soumise devant le Tribunal démontre que les services de Pragma ont été retenus par Desjardins pour des fins très ponctuelles et spécifiques puisque, pendant la période où Laverdière a travaillé avec Desjardins, Desjardins faisait l’objet d’une attaque massive en matière de fraudes électroniques et, autant Desjardins que les autres institutions financières ou similaires et œuvrant dans le même domaine devaient de façon urgente et adéquate se prémunir à l’encontre de ces attaques de cybernautes.

[55]    Grand état a été fait devant le Tribunal du fait que chacun des mandats confiés à la demanderesse Pragma a été suivi à son expiration par un nouveau mandat mais, la preuve a également été faite devant le Tribunal que tout nouveau mandat octroyé à Pragma par Desjardins, plus souvent qu’autrement, n’avait aucun lien avec le mandat qui venait à expiration et, plus souvent qu’autrement, la décision d’octroyer un nouveau mandat à Pragma a été prise par Desjardins dans les jours précédents l’expiration du mandat alors en cours puisque la décision alors dépendait non pas de Desjardins, mais des clients pour lesquels Desjardins agissait à titre d’intermédiaire entre la demanderesse Pragma et lesdits clients.

[56]    Ce point a été clairement démontré devant le Tribunal et explique même la clause d’annulation prévue au contrat exécuté entre Pragma et Desjardins à l’effet que Desjardins pouvait mettre fin à tout mandat avec un préavis de dix jours à cet effet puisque le client de Desjardins pouvait également mettre fin aux travaux de recherche à tout moment en cours de recherche.

Les objectifs ainsi que les livrables ne sont pas toujours déterminés à la signature du contrat : les détails viennent en cours de mandat. Ce qui est important de noter, c’est que la prestation doit être la plus détaillée possible dans le contrat, ainsi que lors du renouvellement (dans le nouveau contrat ou au moins en annexe du renouvellement).

7. CONCLUSIONS

Tel que nous le comprenons tous, la ligne de démarcation permettant de trancher le statut d’un entrepreneur est souvent mince et diffuse à la fois.

La question de la détermination du statut fiscal d’un travailleur (employé ou entrepreneur) fera encore couler beaucoup d’encre, tant en droit provincial que fédéral.

Nombres de combats devront encore être menés, tant en droit qu’en pratique afin d’assurer la pérennité des acquis actuels.

Quant à nous, nous sommes maintenons le postulat voulant que les sociétés œuvrant dans les domaines de pointe constituent de véritables entreprises, et cela, peu importe le nombre de clients desservis et la durée de service auprès d’un même client donné, en raison du mode de fonctionnement intrinsèque de la sous-traitance au Québec et au Canada.   Nombre de domaines hautement spécialisés sont selon nous exempts de toute forme de subordination.

La qualification du statut fiscal d’une entreprise n’est pas une simple affaire.

Cependant, il demeure possible d’évaluer chaque situation afin soit de répondre à une qualification défavorable effectuée par l’un ou l’autre des paliers gouvernementaux, ou afin de prévoir et de gérer les situations potentiellement problématiques.

Notre exposé n’est pas exhaustif, et ne représente que l’opinion de l’auteur soussigné, le sujet étant beaucoup vaste et plus nuancé.  Cependant, nous espérons que le lecteur sera mieux à même de saisir quelques enjeux liés au statut fiscal d’une société (compagnie), et verra à gouverner la destinée de celle-ci en tenant compte de ces quelques observations.